Hommages à deux mathématiciens aveugles de guerre

La 24ème édition du concours du « poinçon magique » organisé par l’Association Valentin Haüy le 27 mars 2019, a rendu hommage à  Louis ANTOINE (1888-1971) et Octave BOURGUIGNON (1891-1972), tous deux mathématiciens, devenus aveugles lors de la Grande Guerre. En effet, la dictée proposée cette année a rappelé l’importance que ces deux scientifiques ont eu dans l’adaptation et l’évolution du système braille pour l’écriture du langage mathématique.

"Le Poinçon Magique" est destiné à favoriser et à promouvoir la connaissance du braille, écriture indispensable aux aveugles. Ce concours, organisé en France métropolitaine et dans les départements d'Outre-Mer, est ouvert gratuitement à toute personne voyante, malvoyante ou aveugle, connaissant le braille intégral ou le braille abrégé.

Texte de la dictée  2019  –  ADULTES :

« A l’origine de la notation mathématique braille française

La première Guerre Mondiale, dont on a célébré le centenaire de l’armistice en 2018, a fait de nombreuses victimes. En France, près de 20 % des soldats ont été tués et il y a eu plus de trois millions de blessés, dont, environ, 42 000 aveugles (1). Deux d’entre eux, Messieurs Louis ANTOINE (1888-1971) (2) et BOURGUIGNON (décédé en 1972) (3), font partie des mathématiciens aveugles célèbres de l’Histoire, de l’Antiquité au XXIe siècle.

Avant-guerre, Monsieur ANTOINE est enseignant à l’université et Monsieur BOURGUIGNON est étudiant à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Après la guerre, ils ont voulu poursuivre leur enseignement et leurs recherches.

La notation conçue par Louis Braille étant trop simple pour leur permettre de transcrire leurs travaux, ils ont établi une notation mathématique « complète en 1922 ». Ainsi, sont-ils à l’origine de la notation mathématique braille actuellement en vigueur en France. D’ailleurs, les chiffres braille utilisés en France sont appelés les chiffres Antoine, en hommage à
M. Antoine. »

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(1) Ce nombre est étonnant. On estime à environ 4 000 le nombre d’aveugles français de la guerre de 1914-1918. Le nombre de 42 000 correspond peut-être à l’ensemble des blessés aux yeux… ou à une erreur de zéro !

(2)  Louis Antoine (23/11/1888-11/02/1971), Capitaine au 151ème régiment d’infanterie,     blessé le 16/04/1917 à Berry au Bac - Marne -  Grand Officier de la Légion d’Honneur       – professeur de mathématiques à la faculté de Strasbourg puis de Rennes. Membre de         l’Académie des Sciences. Fondateur de la section d’Ille-et-Vilaine de l’UAG.

(3) Octave Bourguignon (25/12/1891-22/08/1972), Aspirant au 6ème régiment d’artillerie à pied, blessé le 30/09/1915 à Saint Hilaire le Grand – Marne –, professeur de mathématiques à Charleville Mézières, secrétaire général de l’UAG à sa création en décembre 1918.

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ARTICLE DECES DE LOUIS ANTOINE

(BULLETIN UAG - MARS 1971 – PAGE 5)

Notre camarade, Louis ANTOINE, est décédé à Rennes le 11 février dernier, dans sa 83ème année.

Avant la première Guerre Mondiale, il fut un brillant élève de l’Ecole Normale Supérieure et commençait une carrière d’enseignant en Mathématiques quand survint la seconde guerre.

Capitaine au 151ème RI, il fut blessé par balle le 16 avril 1917 à Berry au Bac ; devenu aveugle, il entreprit une rééducation à l’Ecole de Neuilly, où bon nombre de nos camarades l’ont connu. Il se réadapta – et l’on peut imaginer avec quel courage – aux mathématiques ; ses études auraient pu être brisées par suite de sa cécité, bien au contraire. Il s’ingénia à mettre au point une notation mathématique en Braille qui fait autorité encore aujourd’hui, rendant beaucoup de services aux jeunes aveugles qui ont pu ainsi pénétrer la science des mathématiques.

Après la paix de 1918, la Faculté de Strasbourg se réorganisa et ANTOINE y fut nommé Professeur de mathématiques, ce qui était bien la reconnaissance de sa valeur professionnelle. Il fut ensuite nommé à la Faculté de Rennes où il enseigna pendant de nombreuses années, communiquant l’ardeur de l’étude à des élèves remplis de respect et d’admiration pour lui. Enfin, sa nomination comme membre de l’Académie des Sciences fut une juste récompense de ses hautes qualités pédagogiques et nous pouvons dire que bien des aveugles ont pu prendre et prendront encore exemple sur une vie comme celle d’ANTOINE.

Il était Grand Officier de la Légion d’Honneur et fut un certain nombre d’années, membre de notre conseil d’administration, donnant des avis toujours éclairés. Il quitta le conseil mais fonda peu de temps après, le 25 mars 1953, la section d’Ille-et-Vilaine qu’il présida pendant plus de 6 années, avec Maître THEBAULT comme vice-président. Celui-ci prit à son tour la présidence qu’il vient de quitter pour raison de santé.

Aux obsèques d’ANTOINE, notre ami THEBAULT était le plus qualifié pour lui rendre un dernier hommage en retraçant sa vie exemplaire.

Nous exprimons à Madame ANTOINE, bien souffrante en ce moment, ainsi qu’à toute sa famille, les profonds regrets de tous les membres de l’UAG.

Henri AMBLARD

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ARTICLE DECES DE OCTAVE BOURGUIGNON

(BULLETIN SEPTEMBRE 1972 – PAGE 12)

Nous avons appris avec regret le décès de Octave  BOURGUIGNON survenu le 22 août à Caen dans sa 81ème année.

Après sa blessure, notre camarade avait repris ses études de mathématiques pour devenir professeur dans un collège de Charleville.

Il s’était surtout distingué avec ANTOINE pour mettre au point un système de notation en Braille de signes mathématiques et ce n’était pas chose facile en raison de l’état rudimentaire dans lequel était précisément la notation mathématique Braille.

Nous devons à ce camarade qui vient de nous quitter ainsi qu’à ANTOINE – je parle non seulement pour les aveugles de guerre, mais pour tous les aveugles en général – une contribution très précieuse pour la pratique des mathématiques.

Il faut noter aussi qu’à la formation de l’U.A.G., BOURGUIGNON fut le 1er secrétaire général qui présida à la constitution de l’assemblée de décembre 1918. Il fut ensuite remplacé par H. IZAAC, en qualité de secrétaire général qui devint le Président que nous avons tous apprécié.

Nous présentons à Madame BOURGUIGNON l’expression de nos sincères condoléances.         .

Henri AMBLARD

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