Intervention de Pierre TRICOT, président de la Fondation

Audition des associations d’Anciens Combattants
Commission de la Défense et des Forces Armées de l’Assemblée Nationale

13 octobre 2016

Les conjoints survivants des GIG : vers une reconnaissance et une réparation intégrales

Madame la Présidente,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les Députés,


Administrateur de l’Union des Blessés de la Face et de la Tête, président de la Fondation des Aveugles de guerre, j’ai été mandaté par le Comité d’entente des associations de grands invalides de Guerre pour venir aujourd’hui devant votre Commission plaider la cause des conjoints survivants, tierce-personne de grands invalides de guerre.

Le conjoint ou partenaire survivant d’un grand invalide de guerre, dont le besoin d’assistance a été reconnu par l’attribution de l’article L.18 et qui a assuré la fonction de tierce personne en « apportant des soins de manière constante », perçoit une majoration spéciale  en complément de sa pension de base (1).

Cette majoration constitue une forme d’indemnisation pour des servitudes assumées par le conjoint qui, se substituant à l’État, agit alors par délégation de ce dernier.

La jurisprudence du Conseil d’État a progressivement établi que « les soins apportés d’une manière constante » étaient incompatibles avec l’exercice d’une activité professionnelle même partielle.

La majoration spéciale a donc également de ce fait pour objet de « compenser la perte de revenu (salaire et retraite) du conjoint ou partenaire survivant qui, en raison des soins constants prodigués à son conjoint avant son décès, n’a jamais travaillé ou a abandonné son activité professionnelle » (2).

La durée minimale, de mariage ou de pacte civil de solidarité nécessaire pour l’attribution de cette majoration, qui était auparavant de 15 ans, a été ramenée à 10 ans le 01 janvier 2015 puis à 5 ans à compter du 01 juillet 2016.

L’ambition affichée de ces dispositions était de « lisser l’effet de seuil » pour élargir l’assiette des bénéficiaires. L’estimation avancée devant votre Commission l’année dernière faisait état de 1 400 conjoints survivants concernés (2).  Or, depuis le 01 janvier 2015, seuls 11 demandes ont été adressées à la Sous-direction des pensions (3).

En abaissant la durée minimale à 5 années, l’article 131 de la loi de finances pour 2016 a également introduit le principe de  proportionnalité de la majoration spéciale selon la durée de mariage ou de pacs et de soins (4). Cependant, la progressivité n’intervient  qu’entre 5 et 10 années. Au-delà, le montant est forfaitaire et n’évolue plus.

Or, la grande majorité des conjoints survivants de grand invalide, quasiment exclusivement des femmes, a accompagné leur mari pendant plusieurs décennies. Les conjoints survivants sont donc  en réalité, confrontés plus à un effet de plafond que de seuil !

Les revalorisations du montant de cette majoration, servie à environ  850 bénéficiaires, ont été accueillies avec satisfaction comme des avancées vers une meilleure reconnaissance du rôle essentiel dévolu au conjoint assurant la charge de tierce personne (5). Toutefois, son montant de 480 ou 585 € mensuels selon les cas, reste encore insuffisant et semble une bien modeste réparation pour celle qui, au-delà de son devoir d’entraide entre conjoints définie par le Code Civil, a pendant une longue période, assumé pour le compte de l’État, sans salaire ni retraite, les fonctions d’auxiliaire de vie, de guide, de secrétaire, de chauffeur…

Le besoin d’assistance augmentant bien souvent avec l’âge de l’invalide alors que les forces de l’aidant ont tendance également à décliner, il serait alors juste, pour l’établissement du montant de cette majoration spéciale, de prendre en compte la totalité de la durée pendant laquelle les soins ont été apportés de manière constante. Ces conjoints survivants, qui ont prodigué leurs soins pendant parfois toute une vie, sont maintenant âgés et nécessitent à leur tour une prise en charge à domicile ou en établissement dont le coût est bien souvent supérieur à leur pension.

Nos associations représentatives des grands invalides de guerre, et plus largement du monde combattant, souhaitent qu’une modification soit apportée à l’article L. 52-2 du code des PMI-VG pour établir une proportionnalité intégrale dans le calcul du montant de la majoration spéciale en attribuant des points d’indice supplémentaires par tranche de 5 ans au-delà de 10 ans de mariage ou de pacs (6). 

Le montant de la pension versée au conjoint survivant ayant assuré les fonctions de tierce personne 7 jours sur 7 pendant au moins 40 ans, serait ainsi porter au niveau de la retraite versée à une aide soignante pour la même période d’exercice de sa profession, soit environ 1 600 € mensuel (7).

Cette demande, réaliste et mesurée, a été transmise par l’intermédiaire du Secrétariat Général pour l’Administration du Ministère de la Défense à Monsieur le Secrétaire d’État chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire. Nous constatons avec regrets que la seule réponse  apportée est que « beaucoup de choses ont déjà été faites pour les conjoints survivants  des grands invalides de guerre».

Les données chiffrées indiquées dans cette présentation et celles figurant dans la note jointe permettent toutefois, sans minimiser l’intérêt des mesures prises, d’en relativiser l’ampleur.

Cette constatation s’applique également à la disposition contenu dans le PLF 2017 visant à supprimer le seuil de 40 ans pour l’attribution du supplément portant la pension à 500 points pour les conjoints survivants ayant au moins un enfant à charge.

En effet, nous  souhaitons attirer votre attention sur le fait que, actuellement, tous les conjoints survivants d’un militaire mort de blessure ou par maladie, de guerre ou imputable au service, des suites de  ces blessures ou maladies, ou décédé en possession d’une pension d’invalidité supérieure à 85%, ayant un enfant à charge, bénéficie déjà d’une pension principale au moins égale à 500 points d’indice, et cela sans condition d’âge ou de durée d’union (8).

Les jeunes conjoints survivants des militaires morts en Opex perçoivent ce montant de pension et ne sont donc pas concernés par cette nouvelle disposition. Le nombre de 105 bénéficiaires potentiels semblent alors encore surestimé.

 Tout en accompagnant la logique diminution du budget des anciens combattants due à la baisse du nombre des ressortissants, des marges de manœuvre existent  pour la mise en œuvre de mesures plus ambitieuses et surtout en meilleure corrélation avec les réels besoins des conjoints survivants.

Nous avons, vous avez, Mesdames et Messieurs les députés, le devoir de reconnaître à sa juste valeur la dette contractée par la Nation envers celles qui ont offert leur sueur et partagé souvent les larmes de ceux qui ont versé leur sang.

Pierre Tricot.

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Notes

(1) Le droit à pension est ouvert au conjoint ou partenaire survivant d’un invalide de guerre en réparation des conséquences du préjudice causé par le décès ou les infirmités de son conjoint ou partenaire.

Le montant de la pension ne résulte pas, comme l’impropre dénomination de « pension de réversion» pourrait le laisser croire, d’une proportionnalité avec la pension allouée au conjoint invalide pensionné. Son montant est calculé suivant la situation particulière du conjoint survivant.

Elle se compose d’une partie principale, au maximum de 500 points pour le conjoint d’un soldat (585 € mensuels) et, depuis 2004, d’une majoration uniforme de 15 points (17,55 €). Elle peut être complétée, sous conditions d’âge et de ressources, par un supplément « social » de 167 points (195,39 €).

Le montant de la pension de base de conjoint survivant d’un soldat est donc au maximum de 682 points d’indice, 797,94 € mensuels, ce qui reste donc bien modeste et sensiblement inférieur au seuil de pauvreté fixé par l’INSEE à environ 970 € par mois.

Le montant de la pension progresse au rythme très lent de la revalorisation du point d’indice. De 12,95 € le 01/01/2005 à 14,04 € le 01/01/2016. Soit une progression de 8,43% en 11 ans (14,46 € prévu au 01/01/2018). Cette revalorisation reste toutefois largement inférieure à la hausse du coût de la vie, 17 % sur la même période. 

(2) Audition de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la Mémoire, Commission de la défense de l’Assemblée Nationale, 06/10/2015.

(3) Le portefeuille « réversions » de la Sous-direction des pensions du ministère de la défense (SDP) comptabilise, depuis  le 1er juillet 2016, tous les dossiers soumis au Service de retraite de l’État (SRE) pour la majoration spéciale (Article L52-2 du CPMI-VG) ainsi que les rejets. Depuis cette date, 3 dossiers « 5 ans » 4 dossiers « 7 ans » et 4 dossiers « 10 ans » ont été proposés. Une décision de rejet a été prise par la SDP (5 ans de mariage mais seulement 3 ans de soins donnés).

(4)  Article L.52-2 : « Le conjoint survivant d’un GI relevant de l’article L.18 du présent code perçoit une majoration spéciale proportionnelle à la durée, au moins égale à cinq ans, de mariage ou de pacte civil de solidarité et de soins apportés de manière constante à ce dernier. »

(5) 50 points au 01/01/2015 et 50 points supplémentaires au 01/01/2016, ce qui représente une augmentation totale de 117 euros nets par mois. La majoration spéciale est fixée, selon les cas, à 410 ou 500 points d’indice.

(6) 25 à 40 points lorsque le pensionné était titulaire de l’allocation spéciale 5bis a ;

36 à 50 points lorsque le pensionné était titulaire de l’allocation spéciale 5 bis b ;

10 tranches de 5 ans de 15 à 60 années de mariage et de soins.

Coût estimé entre 2 et 2,7 millions d’euros pour 800 bénéficiaires. La mesure pourrait être étalée sur 2 ou 3 années.

(7) Comparaison établie à partir d’un titre de retraite d’une aide soignante de l’APHP.

(8) Deuxième alinéa de l’article L.141-16 du CPMI-VG.

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